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Partir... ( Vacances avec ma famille, Saison II, suite)

Publié le par Gena Cassidy

Sur l’urbanisme

            Notre hôtel est petit, vu la taille des autres,  coincé entre celui du casino, devant lequel, chaque soir, des hôtesses au costume d’ange évoluent, en dansant, pour attirer les clients, et l’hôtel d’à côté, immense, sans piscine, rempli de jeunes russes, obéissant au même type : trapu, blond, les yeux bleus étirés, le regard perçant, les pommettes hautes, saillantes, les joues rondes, le nez droit, le menton un peu fuyant, un bronzage plutôt rouge que brun. Lorsque nous longeons la côte, je remarque que celle-ci est divisée : une partie, à gauche de notre hôtel, est familiale, l’autre partie, à droite en quittant notre hôtel, est jeune et fêtarde. Pas de véritable harmonie architecturale.

            Aujourd’hui, nous visitons la ville de Varna. Il fait déjà chaud, en sortant de l’hôtel. Nous marchons jusqu’à l’arrêt qui se trouve être celui des taxis, également. Leurs chauffeurs nous repèrent tout de suite. Ils nous sollicitent. Nous déclinons. Le bus arrive. Nous grimpons dedans. Nous n’achetons pas notre ticket au chauffeur ou à une machine mais à une employée tirée à quatre épingles, une sorte de poinçonneuse, spécialement qualifiée pour cette tâche. Nous payons en fonction de la distance parcourue. Mon mari, prévoyant, a étudié le trajet, les stations, mais… En anglais, avec l’alphabet romain. Hors, en Bulgarie, l’alphabet utilisé est le cyrillique comme en Russie. Nous sommes au degré zéro de la communication entre les peuples, pour l’instant, la poinçonneuse ne parlant pas un traitre mot d’anglais. Nous utilisons une autre langue comprise par elle, celles des mathématiques. Nous comptons le nombre de stations  pour régler nos tickets puis à compter du départ, nous comptons le reste de stations à parcourir. Comme nous n’entendons rien au bulgare, il faut bien trouver un terrain d’entente. Parfois, ce sont les gestes dans une sorte de langue des signes, improvisée et universelle. A ce point-là de nos vacances, ce sont les chiffres babyloniens. Une façon comme une autre de se décentrer de soi.

            Quand tu voyages, peu importe où, quand, comment, tout est une question d’état d’esprit, ta boussole intérieure vacille. Comme si tu étais à bord d’un navire quitté par son capitaine. Tout cela, temporaire, car, contrairement aux migrants, aux déracinés, aux exilés, pour ne citer qu’eux, tu n’es pas un voyageur sans bagage. Tu sais que tu retrouveras bientôt le nid douillet que compose ta maison.

            C’est toute la différence.

                        Nous roulons. La chaussée est en bon état. La circulation dense, comme sur une voie périphérique d’une ville française, moyenne. A la différence près que nous voyons, pile sur le bord de la route, des piétons, en maillot de bain, la plage n’est pas loin, des passages cloutés, des containers à poubelle, et même de coquets pavillons qui voisinent avec de grands immeubles. Cinquante minutes de trajet durant lesquelles nous nous rendons bien compte que nous ne roulons pas vite. Le bus se remplit. Je me demande bien comment la poinçonneuse s’y retrouve alors que nous sommes tous plus ou moins collés les uns aux autres. A chaque station se trouvent deux ou trois taxis. Une ambiance cubaine règne, c’est le propre des ex-républiques soviétiques. Pas l’ombre d’une lada ou d’une traban. Le parc automobile est globalement neuf, contrairement à Cuba où les vieilles voitures américaines sont une religion. Elles évoquent un Cuba mythique, celui d’Ernest Hemingway. En Bulgarie, il semble que l’on ait fait table rase du passé communiste, pourtant récent. Il y a peu, c’était encore d’actualité. Nous traversons la ville qui me fait penser à Milan avec son charme méditerranéen, suranné, démodé. Un peu avant le mall, alors que j’ai contemplé la succession d’immeubles communistes dans un état de délabrement avancé, se dresse l’un de ces chantiers qui peuple  Varna. Il me fait l’effet d’un bombardement.

            Nous descendons du bus, écrasés par la chaleur. Nous arrivons à ce temple du commerce. Désert. Nous retrouvons des marques européennes : H et M, Zara (où j’achète, en France les vêtements de mes enfants… Le dépaysement n’est pas total et rarement atteint, aujourd’hui.), Okaïdi, une librairie, similaire à celle que nous voyons en France, un multiplex, un Mac Do, bien sûr. Ma fille est rassurée, elle me dit qu’elle se sent chez elle, que cela fait du bien. Nous visitons le Retromuseum, un musée situé au sein du complexe commercial dédié à la mémoire de l’ancienne république soviétique. On y retrouve un drôle d’inventaire de lada, traban, les grosses voitures officielles noires des aparatchicks, les icones telles que Mao, Trotski, Staline, des séries d’objet liées à l’école, la toilette, les vêtements, ordinateurs, machines à écrire, caméra, calculatrices, postes de télévision, de radio, mange-disque, radiocassettes, magnétoscopes, jouets d’enfants, alcool, timbres, monnaies en cours, parfum, réveil-matin, cigarettes, etc.

            Nous mangeons au Mac Do, sans dessert, sans produit bio, sans fruits, sans légumes. A Milan, le Mac Do servait des parts de pizza géante… Assimilation des us et coutumes locales. Pragmatisme neo-libéral… Nous repartons en taxi dans le centre pour nous rendre à la plage de la ville. Pas de ceinture de sécurité. Le taxi est poussiéreux. J’ai l’impression que nous sommes quarante ans en arrière en France

            Un boom immobilier dans les années 1920/1930, avec de belles maisons coloniales, aux couleurs pastel, dégradées. La cathédrale orthodoxe et ses bulbes dorés. Nous empruntons un dédale de ruelles, désertes, abandonnées. La ville est polluée. Mes yeux me grattent. Nous arrivons à la plage, brûlante. Nous installons nos serviettes. Il y a quelques bulgares, peu en vérité, il fait trop, trop, trop chaud. Nous en avons assez, une heure après, nous levons le camp.

             Nous reprenons notre route pour revenir at home. A l’arrêt de bus, une femme nous interpelle en anglais, en roulant les « r » (c’est étrange, j’ai à la fois l’impression qu’elle vient d’ici et qu’elle est d’ailleurs) :

- The bus goes to Golden Sands ?

- Yes.

            Un taxi s’arrête et son chauffeur descend. Il nous propose de nous ramener à l’hôtel.

- Do you want I drive you to…

            Il regarde notre poignet. Notre bracelet de touriste, avec comme marque Grifid Hotel, une manière de menottes, nous trahit.

- Do you want  I drive you to Golden sands ?

            Nous refusons. Il est insistant.

- Are you sure ? It’s warm in the bus… It’s more expensive than my taxi… There is a lot of people… It smells bad… In my taxi, there is clim… My taxi is comfortable…

            La femme se met à parler avec lui. Ils marchandent ensemble, non plus en anglais mais, en bulgare ? Je comprends que si nous prenons le taxi, elle monte avec nous, le tarif sera moins prohibitif.  Nous cédons.

             Notre conversation au cours de notre trajet. Nous sommes à l’arrière, sans ceinture, et cette femme se tient, à l’avant, près du conducteur. Elle a une cinquantaine d’années, des yeux bleus étirés vers les tempes, rieurs, un peu moqueurs. Des cheveux blonds, courts, épais, une tenue de vacancière, petite et trapue. Ce type de physique me rappelle quelque chose.

-Where do you come from ?

-France. We are french. And you ?

- Moscow.

- So… Russian ?

- Yes. I left  here for five years and I go back to Russia last year but I kept an apartment, on Golden sand. During my husband works, I’m on holyday… Well… Nine months a year.

            Alors qu’elle parle en anglais avec ce fort accent russe, elle ponctue ses paroles d’un rire autosuffisant.

- Have you got a nice life in France ?… You have got many problems with the migrants… Sarkozy…

- We leave in a small town, near Orléans, near Paris. We have got a wonderful life, at the campaign… It depends on your city. Big city, big problem, small city, small problem,  whatever your country, I thinck.

- Irakians… Muslims… Afgans…

- Well… We have not any problem with the migrants. They are welcome, sure.

- But there is Macron… And also his wife. She is a Lady. Beautyful… Oh ! We arrive. Well, nice to meet you. Bye !

- Bye !

            Elle descend du taxi. Le silence s’installe. Et mes pensées avec. Alors, voilà donc quelles sont les pensées d’une femme russe, quinquagénaire, issue d’une catégorie suffisamment favorisée pour avoir au moins une résidence secondaire en Bulgarie, sur la riviera. Instructif. Alors que nous discutions, je pensais à  Poutine. Je trouvais que cette femme ne manquait pas de toupet de porter ainsi un regard aussi grossier sur notre pays. C’est ainsi : le miroir déformant que tendent les médias n’y est sûrement pas étranger. Moi-même, je dispose d’un bon réservoir concernant tout ce qui n’est pas moi, comme le commun des mortels.

                                                                                                                      Jeudi 12 juillet

 

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